Si le rap est né dans les villes, il peut aussi s’épanouir dans les champs. Question d’envie, question de passion.
Jean-Benoît Baudens n’aime pas la ville qu’il a fuie pour s’installer à la campagne, en emmenant avec lui le flow des rythmes urbains. Au vert, loin de la grisaille, du côté du Vigen près de Limoges, ce natif du Nord a jeté son dévolu sur une jolie petite ferme ovine pour y produire du yaourt et de la tomme de brebis. Cet ancien spécialiste en maintenance des bâtiments y a posé ses valises il y a quatre ans avec sa compagne, Camille, ingénieur en énergie.
Jusque-là, leur « belle histoire » ressemble à celle de milliers de citadins en mal de campagne. Alors qu’une belle carrière à la ville s’ouvrait à eux, ces deux anciens élèves de la faculté de sciences de Metz ont préféré tenter l’aventure de l’agriculture à la campagne, avec ses aléas économiques et ses difficultés.
« Si t’as des
rêves fais-en des projets.
Mais quand la vie t’appelle, mec, il faut
décrocher.
Au fond j’ai toujours su que quelque chose clochait.
Donc forcément ma renaissance s’est
enclenchée. »
Ainsi parle MaNTis, alias Jean-Benoît Baudens, le rappeur paysan, dans son clip Original paysan enregistré dans sa jolie petite ferme de la Boufferie.
« Ma
liberté, c'est ce que je trouve de plus motivant.
Maintenant que j’habite la forêt, je peux te dire
que le quartier est vivant. »
Tout est dit dans ce petit clip mis en ligne sur YouTube. Fini le
métro, boulot, dodo. Jean-Benoît et Camille ont
épousé une vie plus qu’un
métier.
« Votre système
peut s’écrouler sans moi
J’suis parti me ressourcer dans le bois.
Ni Cadillac, ni rider, moi j’avance en
tracteur. »
Jean-Benoît a commencé à rapper
à l’âge de 15 ans quand il
était adolescent à Metz. Et depuis il ne
s’est pas arrêté. Au début,
il faisait ça avec ses potes en mode free-style quand
ils faisaient la fête. Sans ambition particulière.
Sept ans plus tard, il décide de franchir le pas en
enregistrant un premier CD en 2010. « J’ai
beaucoup rappé sur le fait que je voulais partir, tout
plaquer, raconte-t-il. Maintenant que c’est fait,
j’ai une nouvelle gamme de thèmes et un nouvel
univers à explorer. »
Sa nouvelle vie à la campagne, le paysage limousin l’inspire (« Ici, c'est pas n’importe quelle campagne », dit-il).
Pas besoin de jouer de rôle quand de ta vie t'es acteur "
MANTIS
Les nouvelles solidarités entre jeunes agriculteurs sont sa source d’inspiration. « Ici, ce n’est pas la campagne de mes grands-parents, ça vit, sourit ce descendant d’agriculteurs. Les tiers-lieux et autres espaces alternatifs, les petits festivals d’été, les marchés, les concerts et les animations lancées par les uns et les autres, c’est tout un réseau qui draine beaucoup de monde. » Le domaine du château de Ligoure abrite à lui seul un ébéniste, un dinandier, un tatoueur et la ferme de la Boufferie où Jean-Benoît et Camille élèvent 68 brebis. Un creuset créatif où les initiatives fleurissent.
« Avant le Covid, on organisait un marché fermier à Ligoure. Quentin le maraîcher a dit un jour : “Et si on organisait un festival ?”. Et six mois plus tard, on montait notre festival, Le Fest-marché, en juillet 2018. C’est trop bien de pouvoir faire ça aussi simplement ! Et en plus il y avait du monde ! On a remis ça l’année suivante. J’espère qu’on va pouvoir repartir cette année. »
Ici, ce n'est pas la campagne de mes grand-parents. Ça vit !
Jean-Benoît, le paysan, et MaNTis, le rappeur, arrivent
très bien à concilier leurs deux
carrières. Le matin à la traite des brebis et
dans le laboratoire à faire des yaourts,
l’après-midi dans les prés, toute la
journée, le rappeur paysan rappe dans sa tête. Il
doit juste bien garder en mémoire les phrases avant de les
coucher sur le papier, puis passer à la phase
d’enregistrement dans un coin de la salle à manger
qui lui sert de studio. La journée aux champs et le
soir… au chant.
MaNTis ne revendique aucune influence particulière à l’exception de Nakk, un rappeur peu connu. « Il a eu son heure de gloire dans les années 2000. Pour moi, c'est le meilleur au niveau texte, punch-line et flow. Il est très fort. »
Après Frénésie MaNTis, un premier CD de dix titres enregistré il y a quelques années à Puteaux, MaNTis vient de finaliser son projet baptisé Original paysan, dix titres enregistrés dans son salon et mixés dans un studio à Saint-Junien, à 30 kilomètres.
PSG, comme "Paysan Super Gauchiste"
Son titre éponyme diffusé sur internet connaît un certain succès, mais Jean-Benoît veut aller plus loin. L’éleveur-rappeur travaille sur un nouveau projet : PSG, Paysan super gauchiste, un album de 18 titres qu’il a commencé à enregistrer dans deux studios du département, chez Medical records à Beaubreuil et Disto Panazol. « Musicalement, ça bouge bien sur Limoges », se félicite-t-il. Sortie prévue début 2022.
On devrait pouvoir applaudir MaNTis sur scène, cet été, au festival de Brageat près de Saint-Jean-Ligoure, organisé par Medical Records. Et en septembre à Saint-Genest-sur-Roselle, un petit festival au champ organisé par une équipe d’agriculteurs qui gère le magasin coopératif Saveurs fermières à Limoges. Là où Jean-Benoît écoule une partie de ses yaourts. Le réseau encore et toujours. « Sur scène, je fais beaucoup d’impros, explique-t-il. J’aime ce qu’on appelle le free-style. Quand un chanteur se lance sur un thème, et qu’un autre enchaîne. Ce côté, on est ensemble et on improvise. J’aime m’inviter sur scène et me lancer. »
On a hâte de voir ça.
Jean-Paul Sportiello
Photos Thomas Jouhannaud
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